Juste un bêlement dans le lointain

Un choc. Une explosion de douleur. La chaleur de l'asphalte contre mes os brisés...

Depuis toujours, j'aimais les choses bien rangées.

Tout petit et duveteux, je tournais autour de mes frères et de mes sœurs quand ils s'agitaient. Chaque atome de mon être était mu par la volonté de contrôler ce qui s'animait autour de moi. Parfois, je suivais le chat de la maison et j'exerçais sur lui le pouvoir de mon œil. Quand je m'endormais, blotti contre ma mère, je rêvais de temps anciens où un être qui me ressemblait regroupait des animaux au poil laineux éparpillés dans la brume.

Un jour, on m'a propulsé dans un nouveau monde. Le corps tiède de ma mère a disparu de mon univers. J'ai appris à aimer mon nouveau foyer. Mais quand j'en franchissais le seuil, c'était le chaos. Le bruit était trop fort, les voix trop vives, les odeurs trop puissantes. Partout, ça criait, ça roulait, ça pétaradait. Je me jetais au bout de la laisse qui me retenait, j'écumais, je griffais le sol dans mes vaines tentatives d'arrêter le mouvement. Chaque sortie m'épuisait, et je rentrais à la maison à bout de souffle. Quand on me laissait dans le jardin, je courais comme un fou le long de la clôture à chaque bruit de moteur. La tranchée que je creusais était sans cesse plus profonde.

Un jour, par inadvertance, mon humain a lâché ma laisse. Je l'ai entendu hurler alors que je me jetais sous le véhicule qui arrivait. Je voulais juste l'arrêter. Ses lumières éblouissantes m'ont englouti.

Un choc. Une explosion de douleur. La chaleur de l'asphalte contre mes os brisés... Puis plus rien.

...Enfin, presque plus rien : juste un bêlement dans le lointain. Une odeur de suint. L'herbe humide sous mes pattes. Là-bas, un être qui me ressemblait regroupait un troupeau éparpillé dans la brume. J'ai volé à son aide dans ce paysage éthéré, et j'ai laissé le chaos derrière moi.

Depuis toujours, j'aimais les choses bien rangées.

Elsa Weiss / Cynopolis

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