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Pourquoi le monde du chien va si mal…

Je ne vous apprends rien : en France, le monde du chien va mal. Le monde de l'éducation canine, tout particulièrement. Il ne s'agit pas là d'une simple querelle entre professionnels qui ne travaillent pas de la même façon. Le problème est bien plus vaste. Quand on est professionnel du chien et que l'on se tient informé de ce qui se passe dans le milieu, on ne peut qu'être effrayé de la tournure que prennent peu à peu les événements. Et de faire le lien entre tous les maux qui touchent la société et ceux qui touchent le monde du chien : obscurantisme et défiance face à la science, patriarcat omniprésent, absence de respect pour le Vivant. Tout est lié, et tout cela, on le retrouve dans le monde du chien, de manière exacerbée, comme si ce dernier était à lui seul un miroir grossissant de tous les maux de notre monde actuel.


L'obscurantisme, d'abord. Aujourd'hui, chacun y va de sa petite opinion sur des articles posant des faits scientifiques, en particulier quand ces derniers concernent le chien. Il s'agit pourtant de faits, c'est à dire des événements constatés et vérifiés plusieurs fois par des protocoles scientifiques rigoureux. Vous voulez un exemple ? Rédigez un article évoquant l'usage des renforçateurs en éducation canine. Il y aura toujours au moins UNE personne qui vous répondra qu'on peut très bien éduquer un chien sans utiliser le jeu ou la nourriture. C'est peut-être vrai dans le cas de certains chiens, mais le fait est que c'est le chien qui choisit son renforçateur, PAS l'humain. Ce n'est pas l'humain qui choisit ce qui augmente la probabilité d'apparition d'un comportement, juste parce qu'il pense qu'un « bon » chien doit obéir pour la caresse et les beaux yeux de son maître uniquement. Nous avons ici un fait scientifique qui s'oppose à des croyances personnelles (généralement suivies d'un « Avant, on faisait comme ça, et ça marchait très bien, bla-bla-bla »). On observe une défiance effrayante du grand public face à la science. Cette dernière évolue, certes. Elle n'est pas immuable. Les scientifiques peuvent affirmer quelque chose et le réfuter quelques années après. Les organismes qui financent les études scientifiques ne sont pas toujours neutres, on le sait bien. Mais il est tout de même fou de constater qu'un éthologue qui aura étudié le chien pendant des années, y compris sur le terrain (non, les scientifiques ne passent pas tout leur temps derrière un ordinateur) et ayant un CV conséquent, aura souvent moins de poids qu'un éducateur sans diplôme qui fait des vues sur Instagram avec des Malinois dressés comme des robots.


Le patriarcat est bien évidemment lié à tout cela. Il y a des professionnels du chien de sexe masculin que j'admire beaucoup, qui ont des connaissances pointues sur le chien et qui, par conséquent, n'emploie pas la coercition pour modifier un comportement. Mais ils se comptent sur les doigts d'une main. Et, hélas, les plus compétents ne sont pas toujours ceux qui ont le plus de visibilité. En éducation bienveillante, ils sont plus que sous-représentés. Une preuve ? Regardez les personnes qui mettent un « like » aux articles de cette page. Environ 98% de femmes. Et quand je vois qu'un homme a commenté l'un de mes articles, je me crispe : 9 fois sur 10, il s'agit de quelqu'un qui m'explique comment faire mon travail. Parce que les hommes, ça SAIT. Les petites nanas, ça doit se contenter de se taire et d'admirer ses congénères masculins. Vous trouvez que j'exagère ? Fouinez un peu sur cette page, vous allez voir. Je n'avais pas conscience du poids du patriarcat avant d'entrer dans le monde du chien. Maintenant, je le trouve omniprésent, étouffant, terrifiant. Tu es une femme éthologue ayant fait de longues études (je ne parle pas de moi), tu as une expérience canine impressionnante et tu as contribué à rééduquer des centaines de chiens en méthode positive ? Tu seras toujours moins écoutée qu'un homme aux capacités cognitives et empathiques d'une petite cuillère mais qui bombe le torse en exhibant les molosses qu'il a « dressés » . D'ailleurs, pourquoi y a-t-il une majorité d'hommes en éducation coercitive ? Pourquoi tous les stages canins auxquels j'ai assistés ou que j'ai animés sont-ils presque à 100% féminins ? Parce que beaucoup d'hommes occidentaux sont enfermés dans un carcan culturel qui les empêche de voir plus loin que le bout de leur nez. Après tout, on a longtemps éduqué (et cela continue, hélas) les petits garçons en leur apprenant qu'il fallait « être un homme », ne pas pleurer, savoir se battre, ne pas jouer à la poupée parce qu'un garçon, ça ne doit pas « prendre soin de... ». On prive les petits garçons de la possibilité de développer leur empathie. Il faut écraser, dominer, ne pas chercher à comprendre. Être un homme, c'est encore souvent cela. Et nos chiens (et si encore il ne s'agissait que d'eux !) en paient aujourd'hui le prix.


Respecter le Vivant n'a jamais été un signe de faiblesse. Faire preuve d'empathie envers un animal, essayer de le comprendre, d'améliorer son bien-être, respecter ses émotions, son consentement, apprendre à lire ses signaux, et cesser de considérer sa relation au chien comme unilatérale, ne fera jamais d’un homme un « fragile ». Au contraire : ne pas ressentir le besoin de jouer les gros bras, d'obtenir l'obéissance crasse et de contrôler tout être vivant qui croise son chemin est à mes yeux la preuve d'une grande force. La violence est l'arme des faibles. Malheureusement, elle reste très admirée, parce que spectaculaire, parce que ne demandant pas de réflexion, et parce que faisant partie de notre culture depuis des générations. À tous les hommes qui n'entrent pas dans ce schéma ou sont en train d'en sortir à force de réflexion, sachez que nous vous admirons, la déconstruction culturelle est aujourd'hui indispensable si l'on souhaite mettre un jour un terme à toutes ces violences éducatives. Faites-vous entendre, vous êtes formidables et c'est en grande partie sur vous que repose l'avenir de nos chiens, de nos enfants et à plus grande échelle, de notre planète. Et pour tout cela, MERCI.


Elsa Weiss / Cynopolis

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