Lors du stage que j’ai animé ce weekend sur la lecture des interactions canines, les participants et moi avons pu, encore une fois, observer à quel point le chien est un animal qui a besoin de temps avant d’entrer en contact avec un congénère. Quand deux chiens étrangers se repèrent à distance, et que rien ne les pousse à s’approcher l’un de l’autre dans l’immédiat (par exemple, un infime déplacement du propriétaire qui invite tacitement le chien à avancer, un mauvais conditionnement, un manque d’interactions sociales, etc), ils se figent, s’observent longuement, s’échangent des signaux de communication (généralement pacifiques quand la distance est suffisante pour qu’ils ne se sentent pas contraints d’employer une communication destinée à éloigner l’autre), prennent les odeurs au sol ou en « air scent », et seulement quand ils se sentent prêts et semblent juger que l’autre l’est aussi, ils se rapprochent.
Pendant que l’un approche l’autre, ou que les deux s’avancent en même temps, on peut encore observer énormément de signaux de communication : détournements de tête, léchages de truffe, approches en courbe, raidissement des muscles ou au contraire détente musculaire, infimes battements de queue, pilo-érection, etc. Et c’est seulement après ce rituel, qui peut durer plusieurs minutes, que les chiens entrent enfin en contact et se reniflent le museau et/ou la zone ano-génitale si affinités (mais beaucoup de chiens s’en voient refuser l’accès par le chien d’en face : « se renifler le derrière » est certes très canin, mais beaucoup de toutous n’aiment pas trop cela, souvent à cause de mauvaises expériences dues à des chiens insistants).
Et puis parfois, les chiens décident de ne pas aller au contact. Discuter à distance leur a suffi, ils ont échangé des informations par le biais des odeurs et des postures du corps, et si nous leur laissons le choix d’en rester là, cela leur convient amplement. C’est souvent l’humain qui, involontairement, apprend à son chien à aller voir tous les congénères qu’il croise, ou la vie en ville qui fait qu’on est obligé de croiser des passants avec des chiens en ligne droite et de façon très rapprochée sur un trottoir. C’est émotionnellement très difficile pour beaucoup de toutous.
Beaucoup de chiens réactifs ont d’ailleurs besoin de retrouver cette distance et ce temps d’observation avec leurs congénères. Ils ont appris à foncer sur les autres sans réfléchir, et les maintenir à distance des autres chiens, en longe, le temps qu’ils réapprennent à observer les signaux de communication de leurs congénères et à y répondre, leur permet progressivement de s’apaiser. La distance peut alors être réduite, petit à petit, mais n’ayez pas pour obsession de vouloir un chien qui reniflera ses semblables et se laissera renifler en toute quiétude : vous-même, aimez-vous le contact rapproché avec des inconnus ?
La société nous oblige à vivre les uns sur les autres, et les espaces verts diminuent comme peau de chagrin. Il est certain qu’il est de plus en plus difficile de laisser nos chiens prendre la distance et le temps dont ils ont besoin pour observer leurs congénères. Mais est-ce une raison pour leur imposer une promiscuité qui n’est absolument pas canine ? Quand il est possible de changer de trottoir, de faire demi-tour pour éviter un croisement tendu, de s’écarter de quelques mètres… pourquoi s’en priver ? Ce n’est pas à nos chiens de s’adapter à nous (ils le font de toute façon déjà, parce qu’ils n’ont pas le choix), c’est à nous d’essayer de leur proposer un mode de vie le plus adapté possible à leur éthologie. Et cela commence par le fait d’être moins pressé, et de prendre le temps de les observer : la communication canine est d’une grande richesse, et notre empressement chronique nous fait passer à côté de belles conversations canines. La bonne nouvelle, c’est qu’il n’est jamais trop tard pour s’y mettre.
Elsa Weiss / Cynopolis Formations
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