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Photo du rédacteurCynopolis Elsa Weiss

Gérer des chiens en groupe

J’ai été amenée pendant plusieurs années, et je le suis encore occasionnellement, à gérer des chiens en groupe. En refuge, pour commencer, ou j’ai pu découvrir à quel point le fait de se retrouver en petit groupe apportait du bien-être à la plupart des chiens. J’y ai vite été désignée comme « la spécialiste » des tests d’entente entre chiens, et cette mission me plaisait beaucoup. « Spécialiste », je tiens à mettre ce terme entre guillemets, car je ne suis pas incollable sur la communication canine et j’ai eu à essuyer quelques bagarres, mais il est vrai que j’avais plutôt un bon feeling pour savoir qui s’entendrait avec qui, et surtout, j’avais la chance d’être totalement zen en cas de conflits canins.


Il y a cinq ans, cela m’a donné l’idée de créer, sur mon terrain d’éducation canine, un espace « garderie » dédié à la rencontre de chiens en groupe, qui pourraient passer la journée à s’amuser pendant que leurs humains étaient au travail. La recette a bien fonctionné et je poursuis encore de temps en temps cette activité que j’affectionne particulièrement. J’y ai appris énormément, et j’y apprends encore. Je livre aujourd’hui quelques petits conseils à tous ceux qui sont amenés à gérer des chiens en groupe.


🐕 Oubliez toute notion de hiérarchie immuable dans un groupe :


C’est le fait de voir des chiens évoluer en groupe, parfois jusqu’à vingt chiens ensemble, qui m’a définitivement convaincue du fait que la notion de hiérarchie intraspécifique immuable ne pouvait avoir été inventée que par des personnes n’ayant jamais vu des chiens interagir entre eux. Certes, il existe des caractères forts, des harceleurs, des petits tyrans qui empêchent tous les autres de s’amuser, mais le grand mâle Alpha, je le cherche toujours. Jetez une poignée de croquettes au milieu du groupe : vous aurez toujours un chien qui protégera sa nourriture avec virulence et essaiera d’engloutir un maximum de croquettes sans considération pour les autres. Mais ce même chien, qu’on pourrait qualifier de « dominant » pour la nourriture, se fera peut-être casser la figure cinq minutes plus tard pour un jouet qu’il délaissera sans protester, n’y voyant pas là une ressource qui vaille la peine de se quereller.


Le chien est un animal hédoniste, qui cherche à se faire plaisir et qui peut tour à tour se montrer « dominant » pour une ressource, et parfaitement conciliant pour une autre à laquelle il ne porte que peu d’intérêt. « Dominant », « soumis », ne sont pas des traits de caractère immuables chez le chien. Continuez donc à chercher le grand mâle Alpha si vous le souhaitez, mais vous aurez aussi peu de chances de le trouver que le dahut sur un flanc de montagne.


🐕 Tous les chiens ne sont pas adaptés à la vie de groupe :


Il arrive que ma collègue Laura, du terrain d’éducation, et moi, expliquions à certains propriétaires que leur chien ne s’est pas trouvé à son aise dans le groupe et qu’il est préférable de renoncer à cette activité. Cela ne signifie aucunement qu’il n’est pas sociable : il peut apprécier les promenades en groupe et même vivre en bonne intelligence avec d’autres chiens chez lui, par exemple. Mais l’excitation d’un groupe de chiens qui se rencontrent, jouent bruyamment, et l’inspectent tous de leurs truffes inquisitrices, cela peut représenter une sacrée dose de stress pour lui. C’est tout à fait louable. D’ailleurs, beaucoup d’humains apprécient de passer du temps avec trois ou quatre amis, mais sont mal à l’aise dans un groupe plus conséquent. Enfin, il y a des chiens qui préfèrent être « fils uniques » dans leur famille humaine, et qui ne tirent pas nécessairement profit d’une compagnie canine. Mais ceci est un autre sujet.


🐕 Plus il y a d’espace, mieux c’est :


Même si, malgré les 5000m2 disponibles sur notre terrain, les chiens jouent bien évidemment dans nos pieds toute la journée et donc sur un espace de 15m2 environ, il est indispensable qu’ils bénéficient d’un espace suffisant pour évoluer sereinement. Dans une maison ou dans un refuge, c’est pareil : plus l’espace est grand, moins le risque de querelles est élevé.


🐕 Bougez !


Ne restez pas statique au milieu d’un groupe de chiens. J’affirme souvent que le chien est un être de mouvement : tant qu’il y a des choses intéressantes à faire, il bouge. Rester immobile au milieu d’un groupe de chiens et les regarder s’amuser fait parfois monter la pression, et peut provoquer des bagarres. Si vous sentez que la tension monte, appelez les chiens avec décontraction et bougez. Généralement, cela fait redescendre le niveau émotionnel du groupe.


🐕 Gardez votre calme :


Facile à dire, je sais, mais surtout indispensable. Si vous stressez dès qu’une interaction canine tourne mal, évitez de gérer des groupes de chiens conséquents. Votre propre comportement influera inévitablement sur la dynamique du groupe. Quand j’ai commencé la « garderie » canine, je laissais les propriétaires récupérer leur chien sur le terrain d’éducation. J’ai vite arrêté : leur simple présence était source de conflit pour les chiens. Leur propre stress, le fait qu’ils représentent une ressource à protéger, la source d’excitation qu’ils constituent, tout cela provoquait des bagarres. Maintenant, chacun dépose son chien à l’entrée du terrain, nous y prenons le relais, et cela se passe mille fois mieux.


🐕 Anticipez les bagarres :


Mieux vaut prévenir que guérir ! Si vous sentez que la tension monte entre les chiens, détournez-les sur une autre activité : invitez-les à vous suivre, tout simplement, jetez-leur une poignée de friandises à chercher dans l’herbe (cette activité fait travailler la concentration et fait redescendre quasi-instantanément le niveau émotionnel du chien), en vous assurant que la quantité de ressources est suffisante et que les friandises sont suffisamment éparpillées. Assurez-vous que les chiens soient faciles à attraper (harnais ou collier avec poignée, par exemple), et n’hésitez pas à séparer deux chiens qui se cherchent régulièrement des noises. Le but est que les chiens se détendent, pas qu’ils passent un moment stressant.


🐕 Acceptez le fait que les blessures sont inévitables :


Mettre des chiens en groupe est une activité risquée. Toujours. Même si elle est bien gérée. Les chiens sont des carnivores, avec de longues canines qui peuvent blesser en cas de bagarres. Ce ne sont pas des enfants à la maternelle (qui, soit dit en passant, ne sont pas toujours tendres entre eux non plus). N’importe quel chien, même le plus doux, peut être amené à se mêler à une bagarre en suivant la dynamique d’un groupe. Bien entendu, placer des chiens en groupe a pour but de leur permettre de s’amuser, et il est impératif de n’exposer que des chiens sociables et joueurs à cette situation. Mais si vous craignez le moindre coup de croc ou piercing à l’oreille, alors je vous conseille d’éviter cette activité. Les chiens sont des animaux qui peuvent se blesser. Même s’il faut éviter cela au maximum, le risque zéro n’existe pas dans un groupe de chiens.


🐕 Évitez la présence de plusieurs mâles entiers sur un même terrain :


Nous acceptons peu de mâles entiers à la fois sur notre terrain. Si ces derniers peuvent se montrer parfaitement courtois en promenade par exemple, le fait de se trouver sur un terrain clos fait qu’ils ont souvent tendance à s’attribuer une femelle (ou plus souvent un mâle castré, pour être tout à fait honnête), et à empêcher les autres mâles entiers de s’en approcher, parfois avec virulence. Ce n’est pas systématique, mais c’est courant. Nous gardons les chiens une journée entière pendant les horaires de travail des propriétaires, nous ne pouvons donc pas nous permettre d’écourter leur temps passé sur le terrain. Mais, si vous êtes amené à gérer des chiens en groupe et que vous avez la possibilité de proposer des sessions plus courtes, c’est encore mieux. Cela permet d’éviter que le genre de comportement cité ci-dessus ne s’amplifie au fil des heures.


🐕 La vie de groupe n’apporte pas que du positif :


Certains comportements indésirables sont inévitablement renforcés par la vie de groupe. Je parle ici de la vie de groupe telle que nous la proposons au sein de notre « garderie ». Si elle apporte des bénéfices à beaucoup de toutous, elle peut aussi en renforcer d’autres dans des comportements indésirables. Quand nous constatons ce genre de chose, nous demandons au propriétaire concerné de ne plus amener son chien afin que ce dernier ne se renforce pas dans ses comportements (ce n’est pas toujours bien accepté par l’humain, malheureusement, mais il faut relativiser… c’est pour le bien du chien en question, et ce n’est pas comme si son enfant était refusé dans une grande école de commerce !). Ces comportements sont latents, ils seraient apparus au fil du temps, mais la vie de groupe a pu accélérer leur survenue.


Les terriers de type Bull, par exemple (ayant moi-même un American Staff, je les trouve extraordinaires donc je ne dénigre pas la race, je décris simplement ce que j’ai constaté), ont souvent tendance à monter en excitation facilement et à franchir rapidement la frontière entre jeu et conflit. Nous acceptons de les tester, bien entendu, mais bien souvent, une fois la puberté entamée, cela se complique. A contrario, les Huskies, les Goldens, les Beagles par exemple, sont généralement des chiens qui apprécient beaucoup d’évoluer en groupe et qui communiquent très bien. Nous avons eu des Staffies et des Amstaffs qui bénéficiaient aussi d’une grande adaptabilité à la vie de groupe, mais certaines races en semblent davantage dotées. Ne m’accusez pas injustement de racisme canin : les terriers de type Bull font partie de mes chouchous ! Mais toutes les races ont des compétences variables en fonction des domaines.


🐕 Limitez le nombre de chiens dans le groupe :


Même si le nombre ne fait pas les bagarres, un groupe de six ou sept chiens est plus facile à gérer qu’un groupe de trente ! La communication et les interactions entre eux n’en seront que meilleures. Veillez à ce que les jeux ne dégénèrent pas, qu’il y ait toujours réciprocité et échange des rôles, et qu’aucun chien ne se fasse harceler. Ce sont parfois les plus timides qui deviennent les pires harceleurs au fil des heures ! Permettez aux chiens de faire des pauses, et de récupérer entre deux séances de jeux.


🐕 Attention au « p’tit cri aigu » !


J’ai consacré un article entier à ce « p’tit cri aigu » dont la simple évocation me glace le sang. Il arrive qu’un chien se fasse bousculer et prenne peur, ou se fasse une entorse toute bête en courant sur le terrain : il pousse alors parfois un cri suraigu qui peut transformer un groupe de chiens sociables en une horde de démons sanguinaires. Ce cri semble déclencher un réflexe de prédation instantané chez les chiens. Il est impératif d’intervenir très vite pour soustraire le chien hurleur au groupe jusqu’à ce que l’émotion redescende à une niveau acceptable.


J’aurais mille choses à vous raconter sur l’évolution des chiens en groupe. C’est passionnant à regarder : on passe de moments de communication extrêmement fine, à d’autres où les toutous semblent avoir perdu tous leurs neurones et se bousculent et beuglent dans tous les sens, et bien sûr à d’inévitables séquences classées X (entre sexes opposés ou même sexe, les chiens sont peu regardants à ce niveau !). S’il y a une chose à retenir, c’est que la vie de groupe n’est pas bénéfique pour tous les chiens, et que tout y est question de dosage. La qualité est mille fois préférable à la quantité. Et, si votre chien préfère sa tranquillité, c’est son droit ! Ne le forcez pas à être ce qu’il n’est pas. Il est un individu à part entière avec ses préférences, et si la vie de groupe n’en fait pas partie, est-ce si dramatique ?


Elsa Weiss / Cynopolis

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