Non, ce n’est pas le titre d’un nouvel épisode de « Friends », mais plutôt le statut auto-proclamé de ce propriétaire de chien qu’on a tous déjà croisé en promenade, qui regarde notre toutou de haut parce qu’il aboie en bout de laisse ou qu’il grogne sur les chiens qu’il croise, et qui nous gratifie d’un cinglant « Le mien au moins, il est ÉDUQUÉ ! ».
Alors oui, il y a clairement des chiens que leurs propriétaires ne gèrent pas du tout, qui foncent sur les gens ou sur leurs congénères sans retenue, qui n’ont aucun rappel, et qui constituent une nuisance pour leur entourage parce qu’on ne leur a jamais enseigné la moindre limite, ce qui peut pourtant s’inculquer sans crier, frapper ou faire peur. À l’inverse, il y a aussi des propriétaires de chiens véritablement « bien éduqués », qui s’assurent de combler leurs besoins, qui ont passé du temps à leur enseigner quelques demandes simples, qui veillent à ne jamais mettre leur chien en « zone rouge » et qui peuvent faire des miracles même avec un toutou sensible.
Mais, dans beaucoup de cas, les personnes qui s’enorgueillissent d’avoir un chien « bien éduqué » et qui regardent les autres de haut dès que ces derniers se trouvent en difficulté avec leur toutou, sont des propriétaires qui n’ont jamais eu affaire à un chien à la sensibilité supérieure à la moyenne. Un chien n’est pas une page vierge quand il arrive dans notre vie, même s’il n’a que deux ou trois mois. Il porte en lui tout un bagage génétique qui prédétermine qui il sera à l’âge adulte. Grâce au phénomène épigénétique notamment, son comportement peut être influencé par l’environnement, mais dans une certaine mesure seulement. Si l’on prend deux chiots d’une même portée et qu’on leur dispense exactement la même « éducation », qu’on leur fait découvrir le monde de la même façon et qu’on leur fait vivre les mêmes expériences, ils seront malgré tout différents à l’âge adulte. Là dessus, je ne vous apprends rien, mais il est toujours intéressant de le rappeler.
Sur mes trois chiens, l’un est particulièrement facile à vivre : c’est le chien que l’on peut emmener partout, qui gère très bien ses émotions, qui n’est pas perturbé par grand-chose. Le second est beaucoup plus sensible, c’est un chien « à mode d’emploi » que je ne peux certainement pas emmener partout (et je n’en ai pas l’intention). Et le troisième, le plus jeune, est probablement encore plus sensible. Malgré une socialisation primaire qui, je pense, a été plutôt qualitative, il peut s’avérer réactif dans certaines situations. C’est ça, la loterie génétique ! Chaque individu vit dans son propre « umwelt », son environnement sensoriel n’est pas celui de son voisin, parce que sa sensibilité au monde n’est pas la même. Curieux qu’on continue de penser qu’un chien qui présente de « bons » comportements est forcément le fruit d’une « bonne éducation », et qu’un chien plus réactif a forcément un propriétaire qui a raté quelque chose. Anthropocentrisme ? Méconnaissance ? Un peu des deux, certainement. Pourtant, personne n’irait dire qu’un humain adulte timide ou virulent a été mal éduqué par ses parents. On accepte la diversité des caractères chez les humains comme une évidence, mais il semblerait que le chien, lui, soit toujours le produit de notre « bonne » ou « mauvaise éducation ».
Si vous partagez votre vie avec un chien qui ne vous pose pas de difficultés, c’est chouette ! Car vivre avec un chien réactif au quotidien n’est pas de tout repos. Mais, s’il vous plaît, ne jugez pas les personnes qui rencontrent des difficultés avec leur compagnon. Vous ne connaissez pas l’histoire de leur chien, vous ne savez pas ce qu’il a pu vivre, vous ne connaissez pas sa génétique. Peut-être auriez-vous tout autant de difficultés qu’elles à gérer ce même chien. S’entendre dire « Le mien est ÉDUQUÉ ! » est extrêmement violent, quand on y pense, car cela sous-entend que l’on est un mauvais propriétaire de chien, qui a forcément manqué quelque chose quelque part. Et rien n’est plus réducteur, et contreproductif, que cette idée reçue culpabilisante.
Elsa Weiss / Cynopolis
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