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Photo du rédacteurCynopolis Elsa Weiss

Voilà pourquoi j’aime les chiens…

Aujourd'hui, j'ai envie de rendre hommage à ceux qui constituent mon quotidien. J'ai envie de parler de ceux qui m'apportent tant d'émotions, qui me font rire, m'émerveillent, m'émeuvent, et me surprennent chaque jour. De ceux qui m'apprennent à rester modeste et à me remettre constamment en question. De ceux qui m'enseignent la patience, vertu qu'en tant qu'être bassement humain je brise parfois en mille morceaux après une journée fatigante. Je sais alors qu'il est temps que je prenne congé d'eux pour quelques heures afin de mieux les retrouver le lendemain, car je ne peux pas m'en empêcher, ils sont ma drogue. J'ai envie de parler de ceux qui ont donné à mon existence la forme d'une mission, celle de mieux les comprendre pour mieux les aider. Je veux bien sûr parler des chiens, mais ai-je besoin de le préciser ?


Alors c'est vrai : ils puent, ils pètent, ils mettent des poils partout, mangent des choses innommables en promenade et lèchent leurs parties intimes en faisant des petits bruits répugnants quand on aimerait pouvoir se concentrer sur le film du dimanche soir. Mais il suffit d'un regard échangé, d'un moment de jeu partagé, d'un​ arrière-train qui se trémousse quand on rentre du travail, et tout cela est oublié. Avoir un chien, c'est devoir affronter quinze ans de promenades quotidiennes sous la pluie, de traces de pattes boueuses sur le pantalon, d'instants de gêne intense quand une truffe froide vient se coller sous notre jupe. Avoir un chien, c'est aussi devoir affronter la douleur de voir vieillir son fidèle ami, et la peur qui nous tord l'estomac quand on sait que, bientôt, on devra tourner la page et qu'il ne fera plus partie de la suite de l'histoire. Avoir un chien, c'est l'accompagner jusqu'à son dernier souffle​ sans comprendre pourquoi il paraît si serein, alors qu'on serait prêt à vendre notre âme au diable pour le garder encore un tout petit peu auprès de nous. Nous, on sanglote comme un petit enfant en le couvrant de nos dernières caresses, alors que le chien nous regarde paisiblement, les yeux mi-clos, l'air presque étonné de nous voir redevenir aussi fragile. Il s'en va, mais c'est normal, il a vécu la plus belle des vies, celle d'un chien, et il en a profité jusqu'à la dernière seconde.


Parce que le chien vit l'instant présent. Nous, humains, qui nous pensons supérieurs aux autres animaux, nous sommes prisonniers de notre intelligence hors du commun. Nous ne savons pas profiter du moment présent : à peine avons-nous terminé notre journée de travail que nous pensons aux tâches ménagères qui nous attendent en rentrant. À peine sommes-nous en vacances que nous redoutons le moment de la reprise. À peine sommes-nous conscients de la mort qu'elle nous obsède jusqu'à la fin de nos jours.

Le chien, lui, dévore la vie comme la meilleure des gamelles. Il aime profondément son existence et il lui rend hommage chaque jour qui passe, en la vivant pleinement. Il aime courir, aboyer, bondir, nager, chasser, se battre, tuer parfois. Pour lui, la vie est le plus beau des cadeaux. Le chien ne se pose pas de questions sur son avenir, il ne s'apesantit pas sur son passé. Quand ses muscles s'amenuisent et que ses articulations deviennent douloureuses, il s'assagit. Il sait que les bagarres et les flirts de la jeunesse ne sont plus de mise, mais il profite autrement. Il passe un peu plus de temps devant la cheminée ou sur le canapé à ronfler copieusement, mais ça aussi, ça fait partie de la vie. Et quand la mort pointe le bout de son nez, il l'accueille comme une vieille amie. Parce qu'il a aimé la vie, qu'il en a profité comme seul un chien sait le faire, et qu'il ne sait pas ce qu'est le regret.


Voilà pourquoi j'aime les chiens.


Parce qu'ils sont eux-mêmes. Parce qu'ils ont une force morale qui ferait rougir le plus coriace d'entre nous, et qu'ils sont la définition-même de l'épicurisme. Parce qu'ils ne se considèrent pas comme supérieurs, mais comme faisant partie d'un tout, ce que nous-mêmes​ avons oublié depuis longtemps. Le chien est profondément animal, et le traiter en petit humain est une offense à la dignité de son espèce. À mes yeux, les chiens sont des guides : nous nous considérons comme leurs maîtres, leurs chefs, mais n'aurions-nous pas plutôt tout à apprendre d'eux ? Peut-être nous accompagnent-ils depuis la nuit des temps pour nous guider sur le droit chemin. Ils portent en eux une sagesse ancestrale héritée de la nature, et peut-être sont-ils à nos côtés afin de nous rappeler d'où nous venons. Promenez-vous en forêt avec votre chien, vos deux ombres entremêlées. Endormez-vous non loin de lui un soir de pluie, et laissez-vous bercer par sa respiration profonde et rassurante. Regardez courir votre chien, ses quatre pattes tambourinant sur le sol. Peut-être surgiront en vous les réminiscences d'un temps immémorial où il était déjà à vos côtés, alors que vous n'étiez qu'une ébauche d'hominidé.


Le chien n'est pas "juste un chien" : il est une ode à la nature. Il a conservé en lui une sagesse que nous avons oubliée. En apprenant à écouter le chien, nous pouvons, à petits pas de loups, apprendre à renouer avec nos racines.


Les chiens nous rappellent simplement qui nous sommes.


Voilà pourquoi j'aime les chiens.


Elsa Weiss / Cynopolis

© Tous droits réservés - 2021


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